Technique n’est pas recette
L’un des mythes les plus puissants en littérature est que l’auteur est un élu, le réceptacle sur terre d’un génie créatif qui lui dicte les mots à inscrire sur le papier. Vous y croyez, vous ?
Croire à ce mythe reviendrait à dire que le talent d’écrire est inné… Ce qui ferait de la littérature la seule discipline artistique où il est impossible non seulement d’apprendre mais aussi de progresser. Ce qui ferait des auteurs, quel que soit leur talent, de simples scribes.
Des techniques d’écriture efficaces
Dans toutes les disciplines, il y a ceux qui aiment réfléchir aux règles (les théoriciens comme Jean Genet). Il y a aussi ces autres qui explorent les territoires et leurs limites (les pionniers tels que les membres de l’Oulipo), et puis ceux qui dérangent l’ordre établi (les voyous comme Virginie Despentes ou Zarca)…
Depuis la naissance du premier alphabet, la littérature a été traversée par de nombreux courants qui s’opposaient au précédent, cassant les règles établies pour en créer d’autres. Chacun a ainsi apporté sa contribution pour former ce qu’on appelle les techniques d’écriture.
Procédés stylistiques, arcanes de la dramaturgie, narratologie, psychologie des personnages… Il existe aujourd’hui un panel impressionnant de techniques efficaces qui permettent à un auteur d’améliorer ses manuscrits.
Des techniques qui, texte après texte, gagnent en puissance, jusqu’à devenir naturelles le jour où l’auteur oublie qu’il les a apprises, le jour où il joue avec elles sans s’en rendre compte ou qu’il invente les siennes.
Techniques ne veut pas dire recette.
Écrire, c’est comme faire du pain. C’est à la fois simple et compliqué.
Le pain, c’est de manière très basique, de la farine, de l’eau, un peu de sel et du levain ou de la levure. Mais pas n’importe lesquels et pas n’importe comment. Chaque geste de pétrin compte et cela peut se terminer avec une baguette bien croustillante ou complètement ramollie.
Écrire une histoire, c’est de manière très basique également, des gentils et des méchants, un soupçon de suspense, quelques grammes d’amour… Mais pas n’importe lesquels et pas n’importe comment. Chaque mot compte et cela peut se terminer par une intrigue haletante ou un récit qui retombe à plat comme un soufflé.
« Il y a trois règles à respecter pour écrire un roman. Malheureusement, personne ne les connaît. »
ironisait William Somerset Maugham.
Ce n’est malheureusement pas ce que pense un groupe de chercheurs des universités d’Oxford et de Yale. En décembre dernier, la revue Courrier International s’est intéressée à leur étude sur l’intelligence artificielle et la suprématie de l’homme sur les machines. Ils ont évalué à 2056, la date à laquelle un robot serait en capacité d’écrire un best-seller.
Ce qui signifierait que les big data arriveraient d’ici 40 ans à décoder la mystérieuse alchimie de l’écriture… Ce qui voudrait dire que le graal de tout auteur, le best-seller lu par des milliers de paires d’yeux, serait à portée d’algorithme…
La part d’humanité
Je ne veux pas y croire. Je n’y crois pas. Et voilà pourquoi…
Je n’y crois pas car propulser un livre au rang de best-seller est une histoire de rencontre entre un objet et un public humain. Humain et Imprévisible. Ou alors nous serions nous-mêmes des robots dotés d’un bouton capable de nous faire perdre notre libre arbitre et de nous pousser à acheter ce que nous dictent les vendeurs. Les publicitaires cherchent la formule sans succès depuis des décennies.
Je n’y crois pas car écrire ne se résume pas à aligner des mots pour construire des phrases. « Écrire est un acte d’amour. S’il ne l’est pas, il n’est qu’écriture » (Jean Cocteau). Or les machines sont incapables de sentiments ou d’émotions. Elles ne ressentent pas l’amour passion qui peut vous emporter au bout du monde. Elles ne connaissent pas la peur de la mort, ni la souffrance attachée à la perte…
Je n’y crois pas car depuis les mythes antiques, tout a été dit, toutes les histoires ont déjà été écrites. Et pourtant, les auteurs ne cessent d’inventer et de réinventer. Chacun apportant un regard nouveau, une voix particulière, une émotion inconnue…
Même si les ingénieurs commencent à parler de machines apprenantes, personne ne mentionne de machines capables d’inventer. Aucun créatif n’est capable de vous expliquer d’où viennent ses idées, parfois d’une association inattendue, d’autres fois d’une fulgurance qui enfle comme une évidence… Si un programme informatique sera certes le plus performant pour trier les données et répondre aux commandes, il n’aura pas cette capacité unique d’un auteur humain, de se perdre en cherchant, de trouver sans chercher. Ce qu’on appelle la sérendipité…
Luc de Brabandere, ingénieur belge devenu philosophe d’entreprise et grand ponte de la créativité, adore raconter cette histoire. Il déjeunait dans un restaurant quand, au moment de payer, il voit sur le comptoir deux pots surmontés chacun d’une affichette. La première indique : « Si vous aimez les Beattles, déposez votre pourboire ici ». La seconde : « Si vous préférez les Rolling Stones, mettez votre pourboire ici ».
Il interroge le restaurateur qui lui raconte que l’idée lui est venue par hasard, en entendant une conversation entre ses clients sur leurs préférences musicales. En proposant un choix à ses clients, le restaurateur a joué sur leurs émotions et les a ainsi poussés à l’action, donner un pourboire. Résultat : une augmentation des pourboires de 30%.
Enfin, je n’y crois pas parce que les machines sont incapables d’humour, pour moi la forme de créativité la plus subtile qui existe… Elles ne sont pas non plus capables de mentir, et encore moins de « mentir vrai« , cette qualité chère à Aragon.
Alors continuons à mettre dans nos livres, notre âme, nos imperfections et nos tripes. L’heure de passer la main aux machines n’est pas encore venue… n’est-ce pas ?
Merci pour ce billet fort intéressant Elisa ! Pour l’heure, la puissance créatrice est quelque chose qui échappe encore aux algorithmes car imprévisible.Alors réjouissons-nous. 🙂
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Bonjour,
Comme cela a été dit dans les précédents commentaires, je pense que cela sera du domaine du possible… Cependant, il manquera ce supplément d’âme que tout artiste apporte à son oeuvre et qui fait toute la différence !
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Bonjour et merci pour ton commentaire. Je suis absolument d’accord avec toi. Espérons que les lecteurs seront attentifs à ce supplément d’âme, le monde pourrait bien en avoir besoin.
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ca existera un jour .. de même la baguette artisanale restera appréciée de quelques connaisseurs, ces romans correspondront à la baguette industrielle …..
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Hello Brigitte. Bon ben je n’ai qu’à m’en prendre à moi de faire une analogie avec la recette du pain… et je crains que tu n’aies raison et qu’un jour, nous oubliions le goût du levain 😦
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Moi, je crois que ça arrivera, et ça ne me fait pas plaisir.
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Idem 😦 Merci d’avoir pris le temps de semer quelques mots par ici. Bises 🙂
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Premièrement, j’ai trouvé ton billet particulièrement bien écrit et agréable à lire. Merci.
Par contre, je n’ai aucune peine à croire à des best-sellers écrits par des IA. Appliquer une formule pour générer des best-sellers en série, c’est exactement ce que fait James Patterson, et il a vendu 350 millions d’exemplaires de ses romans. Beaucoup de lecteurs sont sensibles à un certain nombre de recettes efficaces, et les ordinateurs seront bientôt capables de le leur fournir.
La littérature, en revanche, est ailleurs. Je ne crois pas que « le best-seller lu par des milliers de paires d’yeux » soit réellement le graal des écrivains. Passer à la postérité, voire même simplement devenir l’auteur préféré d’une seule personne, sont des objectifs qui me semblent plus largement répandu parmi celles et ceux qui écrivent. Ça, c’est plus difficile à simuler par une intelligence artificielle.
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Merci Julien, ton retour me touche beaucoup. Tu as raison de dissocier best-sellers et littérature, ils se rejoignent rarement. Eric-Emmanuel Schmitt a dit récemment qu’un livre réussi n’est pas un succès de vente, mais le livre que l’auteur avait rêvé d’écrire… Les IA ne rêvent pas, non ?
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Pas encore!
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Il aurait peut-être fallu différencier « best-seller » et « roman de grande qualité littéraire ». Un best seller, c’est un livre qui se vend mieux que les autres. Un peu de marketing autour du fait que « ce livre a été écrit par un robot », et hop, il se propulse facilement en tête de toutes les ventes, même s’il est nul.
Donc un best-seller écrit par une machine, j’y crois, et pour bien avant 2056. Un roman de qualité, je demande à voir….
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Bonjour Tocca. Oui tu as absolument raison, les deux n’appartiennent pas à la même catégorie. Et tous les best-sellers, même écrits par des humains, ne sont pas toujours des livres de qualité. Sans critique de ma part. Parfois, on a juste besoin de poser son cerveau. Merci pour ton passage sur ce blog 🙂
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Moi, j’y crois. Les paramètres que nous offrons aux machines en surfant sur le net, les statistiques sur les succès à la vente, le buzz pour un sujet qui attire les foules, et j’en passe. Tout cela amènera sûrement à la synthetisation d’une forme d’écriture. Néanmoins, ce ne sera jamais de la littérature, seulement une pâle copie de ce qui est la création littéraire. Le problème, c’est que ce machin deviendra inévitablement un best-seller, car il sera lu par une masse de gens qui lisent des romans de gare. Là, je ne dirai plus « mais au moins ils lisent… ». Les auteur.e.s partagent avec leurs lecteurs leur âme immortelle. Que voulez-vous que partage une machine à part des algorithmes?
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Hello Culturieuse. Je n’avais pensé qu’au côté auteur, mais tu as raison. Les lecteurs sont partie prenante dans les livres qui sont proposés à la vente. Et si le prix intervient en ligne de compte, cela mettra bien cher le prix de l’âme non ?
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J’aime beaucoup les citations choisies et la petite histoire sur les pourboires. Un robot capable d’écrire un best-seller ? Moi non plus, je ne peux y croire…
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Et pourtant… Que les dieux des auteurs t’entendent 🙂
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Les machines pourront difficilement nous remplacer sur ce chapitre 🙂
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Hello Gyslaine, Joli jeu de mots 🙂 Bonne semaine et bonne écriture
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Non, l’heure de passer la main aux machines n’est pas encore venue, et puis, ne revient-on pas de plus en plus au faire soi-même ? À délaisser l’industriel qui nous empoisonne pour le fait maison ? À réapprendre les gestes des artisans que les machines nous avaient fait oublier ? J’espère, j’espère, car quel monde obtiendrions-nous… Écrire est aussi une histoire de contact humain, sentimental, comme vous l’avez signalé, et l’idée de ce froid, de ce vide des machines me tourmente de plus en plus ces derniers temps. Je suis actuellement plongée dans Jane Eyre, un robot serait-il capable d’écrire comme Charlotte ? J’en doute, il n’a pas son vécu, ses expériences, vous parlez d’imagination et de sentiments, il y a aussi les désirs et les espoirs que les machines n’auront jamais !
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Hello ! Merci de nous partager ta réaction DIY et ton hommage à Jane Eyre. Continuons à cultiver nos désirs et nos espoirs, ce serait trop triste de les voir disparaître des livres, juste parce que les robots ne les ressentent pas. Bonne semaine 🙂
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Les imprimantes 3D peuvent reproduire des objets, des machines également impriment des toiles…Le livre sera créé artificiellement. Mais ce sera la même chose que lorsqu’on achète une copie ou un original…L’âme ne s’achète pas, l’histoire qui va avec l’auteur non plus…
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Hello Laurence. Triste perspective si les machines nous dessaisissent de notre âme sans rien nous donner en échange… Au moins, avant, on pouvait la vendre au diable 😉
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