Entre doutes et désir…

Voilà maintenant quelques semaines que je visionne les vidéos enregistrées par Éric-Emmanuel Schmitt dans le cadre de la master class. Je prends le temps, je viens de terminer celles qui parlent du désir d’écrire et des doutes qui l’accompagnent. Des vidéos qui questionnent aussi l’identité d’auteur.

Le discours ne s’attarde pas sur des problématiques pré-existentielles comme le manque de temps et la procrastination. Elles posent comme une évidence que l’écriture est partie intégrante de notre vie. Non, ce qui est exploré concerne les ressorts profonds qui nous poussent à l’écriture.

Les doutes sont nombreux lorsque l’on écrit. Ce qui n’est pas surprenant puisque nous passons notre temps à nous questionner. Sur les mots, les phrases, le sens… Nous oscillons en permanence entre nos doutes et notre désir.

D’abord, Éric-Emmanuel Schmitt nous a encouragés à entretenir, vivace, la première petite flamme qui nous a poussés vers l’écriture. Et cela rejoint l’une de mes maximes préférées, celle à laquelle je me raccroche dans les heures sombres : « Concentrez-vous plus sur votre désir que sur votre doute, et le rêve prendra soin de lui-même » Mark Twain.

Puis, Éric-Emmanuel Schmitt nous a invités à réfléchir sur notre positionnement. Avons-nous envie d’écrire ou avons-nous envie de devenir écrivain ? Et qu’est-ce qu’un écrivain ?

Jusqu’à présent je différenciais celui qui écrivait de l’écrivain (ou auteur, peu importe) par l’intention d’être lu par d’autres.

À mon sens, cette intention de ne pas garder ses mots pour soi, confère à celui qui écrit le statut d’auteur, au sens de créateur. Avec ce que cela comporte comme degré d’exigence pour produire un texte de qualité puisqu’il sera lu, et aussi comme dose de générosité car en partageant notre histoire, elle nous échappe… Ainsi, les mots deviennent passeurs et le texte se fait œuvre.

Éric-Emmanuel Schmitt m’a ouvert un autre horizon. Pour lui, est écrivain celui qui raconte de manière littéraire et non littérale, de manière plus large que la simple description des faits. Les mots, non comme véhicules informatifs, mais comme musique et sens mêlés, donnant au texte sa présence, sa matière et son âme.

Cette vidéo a résonné comme une évidence. Vous la connaissez, cette sensation bizarre d’entendre les mots que l’on pense sans jamais les avoir formulés. « Mais oui, c’est ça ! ». À trop travailler avec des scénaristes focalisés sur la construction de l’histoire, j’en avais oublié le texte, la magie des mots.

J’ai pris cette vidéo comme une gifle force 10, l’écho tonne encore à mes oreilles… Il ne m’a pas quitté tout le long des propositions d’écriture qui suivaient les vidéos. L’une d’elles nous invitaient à raconter ce moment où est né notre désir d’écrire.

J’ai donc écrit un texte sur la naissance de ma première petite flamme. Quel régal ! Je n’avais pas pris autant de plaisir à écrire depuis bien longtemps. Entre les doutes et le désir, j’avais oublié que le plaisir nourrit, lui aussi, le feu ardent.

« J’avais six ans quand mes parents nous ont emmenés vivre à Bangui, en Centrafrique.

À côté de notre maison, il y avait une case, moins haute qu’un adulte debout et moins large qu’un lion couché. Devant ce cube de terre sèche, chaque soir, un vieil homme allumait un feu autour duquel des gens se réunissaient. Ils mangeaient ce qui rôtissait au-dessus des flammes, parlaient, riaient.

Ils m’intriguaient, ces gens. Ils étaient six, sept, peut-être huit. Comment allaient-ils faire pour rentrer dormir dans la case ensuite ? Elle était tellement petite, trop pour les contenir tous. Est-ce qu’ils rétrécissaient en franchissant le seuil, comme Alice entrant au pays des merveilles ?

Impossible de le savoir. Nous passions toutes nos soirées au club pour les blancs et quand nous rentrions, le feu était éteint. Un soir, je ne sais pourquoi et l’on s’en moque, mes parents ont décidé de rester à la maison. Dès la fin du repas, j’ai filé jusqu’à la haie qui nous séparait de la case. C’était l’occasion, unique, inespérée, de voir ce qui se passerait à l’heure du coucher.

Pendant ce qui m’a paru de longues heures, j’ai écouté. Les rires, les palabres, les mots qui rebondissaient, les exclamations qui s’entrechoquaient… Et soudain, le silence. Brutal et lourd. Je me suis approchée, cachée derrière les arbustes, persuadée qu’ils étaient tous morts ou que l’heure du coucher était arrivée. J’allais enfin résoudre ce mystère.

Entre les branches, j’ai vu le vieil homme se lever. En un mouvement rond, comme une liane montant du sol pour rejoindre le ciel. Une fois déplié, sa voix a empli la nuit. Je n’ai pas compris un seul de ses mots. Mais je me suis trouvée enveloppé par sa mélopée, bercée par une musique envoûtante, transportée dans un univers d’étranges sensations. C’est là, je crois, que j’ai pris le goût de raconter. Ou qu’il est venu à moi…

De retour en France, j’ai voulu garder la trace de ce que j’avais vécu dans ce pays fascinant d’Afrique. J’avais 8 ans environ. J’ai écrit trois lignes, quatre peut-être. Et j’ai abandonné, persuadée de n’avoir aucun talent pour raconter la réalité, et aucune imagination pour l’enjoliver d’aventures inventées.

Pourtant je n’ai pas pu renoncer à écrire. Je me suis alors lancée dans un dictionnaire des animaux, une compilation de toutes les informations animalières qui me tombaient sous les yeux. Cela m’a donné beaucoup de plaisir, je suis devenue imbattable au baccalauréat dans la catégorie « Faune », même avec les lettres X, Y, Z. Cela m’a également permis d’amortir ma désillusion.

Il a fallu un concours de circonstances particulier pour avoir le courage de revenir à l’écriture créative. En fait de concours, il s’agissait d’un concours de nouvelles. Un thème qui m’a mise au défi, l’histoire d’une porte ouverte… Une nuit d’insomnie à me laisser porter par des mots venus d’on ne sait z’ou, peut-être d’Afrique.

Cela a été le début d’une belle période où j’ai écrit des dizaines de textes courts. Certains ont été publiés dans des magazines, d’autres ont été primés. Écrire des nouvelles est une discipline exigeante et elle a été, pour moi, une merveilleuse école d’écriture. Quand a surgi l’histoire qui sommeillait dans mon plus profond, j’étais prête. »