C R I S

Cauchemar, Rêve, Insomnie, Sommeil…

Quelques élucubrations dans la grisaille de novembre…

Insomaniaque

Tueur en série de rêves éveillés

Insomnie

Insomnie : tapage nocturne des pensées
(Sylvain Tesson)

L’insomnie est la face sombre de l’imagination
(Delphine de Vigan)

Frayeurs noires

Certaines nuits, je prends plaisir à garder les yeux ouverts, à savourer la plénitude dans des draps frais, en sécurité dans mon lit. Un non-mouvement où la créativité bouillonne. Un entre-deux où tout est possible.

D’autres nuits en revanche, la terreur surgit et m’envahit. Elle se propage lente et visqueuse, s’attarde dans chaque muscle, circule dans chaque artère. Paresseuse et meurtrière. Mon corps en territoire  à conquérir, bastion après bastion. Impossible d’enrayer l’expansion, vaincue d’avance. Une enfant impuissante à chasser les monstres tapis dans l’esprit et sous le lit.

J’oublie que je suis adulte, que j’ai le droit d’allumer sans me faire gronder. Que je peux me lever et faire front au danger comme j’ai appris à le faire depuis que j’ai grandi.

J’oublie l’écriture. Par son pouvoir, nommer les terreurs nourries de l’indicible. À la lumière des mots, gommer les ténèbres.

***

Jeu d’ombres tordues se penchent qui frôlent et affolent. Fermer les yeux, si on ne les voit pas ça n’existe pas.

Se guider sur les sons, silence respiration trop forte résonne dans la nuit noire, trou, happée, arrêter de respirer, on souffle doucement on se calme.

Bâillement. Mettre la main devant la bouche, ne pas laisser d’interstice, préserver la langue, besoin pour hurler. Ne pas donner prise rien ne doit dépasser, recroqueviller les jambes, cacher les oreilles sous les paumes doigts repliés, position œuf rond, couette rouge placenta, ne plus bouger.

Crisser-grincer dans l’escalier. Sursaut cœur course membres figés, oreilles dressées, aux armes les paupières, rouvrir les yeux. D’urgence. Les refermer. Vite.

Trouver un coin vital, deux parois accrochées l’une à l’autre. S’adosser, y nicher les flancs protégés, pallier l’absence de rétines derrière le crâne. Devenir une mouche, le champ de vision restreint, les angles morts en alerte. Guetter les mouvements, ne pas se laisser surprendre, acculée.

Un froissement sous le lit, espace béant sur le vide, prise directe sur l’enfer, viser le salut  là-haut mains jointes : laisse-moi vivre laisse-moi laisse…

On marchande n’importe quoi dossier à boucler vaisselle câlin inachevé tant de choses à peine amorcées, demain on compte sur moi, laisse laisse-moi laisse-moi vivre…

La sueur serpent colle dans le dos frissons froid envie de pipi. Tournicoton dans le lit impossible de tenir, on pose un pied par terre, mollet découvert vite, remonter la jambe ne pas réveiller les démons aplatis.

Se retenir encore vessie comprimée risque de draps mouillés survie en danger la balance est mal réglée.

***

« Maman ! »

La plainte me réveille. Les enfants !

Je tâtonne, trouve l’interrupteur, crève l’obscurité. Me lever, pied au plancher. Crisser-grincer dans l’escalier. Un lambeau de cauchemar s’accroche aux épaules. Éjecté d’un haussement, mes enfants ont besoin de moi.

J’entrouvre la porte. Respirations paisibles, doux ronflements. Ça ne me suffit pas, besoin de toucher pour y croire. Je m’approche.

Je me penche sur ma fille, pose une main sur son front, caresse sa joue, chaleur de la vie. Mon fils dort sur le lit du dessus. Son grand plaisir tous les soirs, jouer les acrobates. Je grimpe à l’échelle, rate une marche, dégringole fracas dans la nuit.

Dans un mouvement d’horloger, les deux petits soupirent, activent leur pouce dans leur bouche et se tournent vers le mur. Des anges heureux, loin de tout danger. Loin de cette peur panique irraisonnée du noir et des ombres qui s’y dissimulent. Inconscients des menaces du monde. Si on ne les voit pas, ça n’existe pas.

© Élisa Tixen – Novembre 2014