Opération Belvédère

Ça ressemble à un titre de James Bond (Mourir peut attendre et je suis bien d’accord avec lui). Ça m’évoque aussi l’image de phares éblouis sur la lande brumeuse ou de romans victoriens, mais c’est encore mieux que ça. Le Belvédère, c’est un endroit magique, une résidence de création.

Imaginez l’ancien moulin d’une abbaye, niché au bord de la Creuse au milieu des champs, entre Guéret et Aubusson, vous voyez la tapisserie… euh l’image ? Dans ce bâtiment en pierres épaisses, une salle haute comme trois hommes, style industriel gris béton. Aux murs, des cadres en bois et des tentures en toile de jute. Pas de doute, nous sommes bien dans un atelier, un atelier de création.

Nous voilà trois, Laurine Rousselet, Nadia Bourgeois et moi, trois autrices aux univers très différents. Pour nous accompagner, Marie-Pierre Besanger et Philippe Ponty du Bottom Théâtre.

Pendant ces deux jours, le comédien et la metteure en scène ont lu des extraits de nos manuscrits encore en cours d’écriture. Ils ont d’abord lu avec leur propre vision puis ils nous ont proposé plusieurs interprétations pour nous donner à entendre nos mots.

A titre personnel, j’avais apporté l’extrait d’un manuscrit à trois voix et je voulais m’assurer qu’elles possédaient chacune leur personnalité propre, qu’elles sonnaient juste.

Trouver la voix de son texte, c’est trouver la voie vers son histoire. Et c’est l’une des étapes les plus délicates. Peu importe le nombre de livres écrits précédemment, chaque nouvelle histoire est comme un territoire inconnu à défricher. À moins d’appliquer une recette, chaque récit possède son identité propre, une voix qui n’appartient qu’à lui.

Chaque début d’écriture est un retour à la case départ…
Un endroit où aucun des accomplissements passés ne compte
Quentin Tarantino

Les mots que l’on couche sur le papier mettent nos intentions en résonnance. Personnellement, il me faut du temps pour prendre du recul et entendre les dissonances. Bien sûr, je peux lire à voix haute, comme Flaubert dans son Gueuloir. Je peux aussi m’enregistrer et m’entendre déclamer mon texte. Mais parfois, ça ne suffit pas à évacuer ces petites complaisances qui se glissent dans mon cerveau dès que mes neurones baissent leur niveau d’attention critique.

Participer au Belvédère a été une expérience particulière car c’est difficile, voire douloureux, de montrer un écrit qui n’est pas finalisé. On a toujours tellement l’espoir d’aboutir au texte parfait.

Au-delà des voix, j’ai aussi entendu les points-de-vue de mes personnages. Un phénomène étrange, entendre tes personnages te parler, te dire ce qu’ils veulent. Lâcher prise, s’ouvrir à la dimension critique, accepter d’entendre à voix incarnée ce qui est encore inachevé pour laisser émerger la personnalité du texte et se laisser guider par elle. Voilà ce que j’ai éprouvé lors de ces deux jours intense.

Le Belvédère est un dispositif de création inédit, organisé par l’ALCA, centre régional du livre pour la Nouvelle-Aquitaine, dans le cadre d’Écritures plurielles, en partenariat avec le BOTTOM Théâtre. C’est expérimental et j’espère qu’il vivra longtemps car c’est une aventure autant artistique qu’humaine. Une chance de sortir de ses processus de création pour aller plus loin, plus haut… grâce à la générosité du groupe, l’écoute des autres, les partages. Une rupture de notre solitude qui fait sens et donne du lien.

J’ai encore la tête à l’envers de cette expérience. Je pars à Francfort, demain dès l’aube. Je ne sais pas encore très bien ce que je vais faire de ce que j’ai découvert, ni même si je dois en faire quelque chose ou au contraire, laisser mûrir ce qui a émergé… La suite de l’histoire le dira.

Petite photo souvenir avant de partir…

Un grand merci à tous pour ce moment extraordinaire 🙂